Warren Buffett / Berkshire Hathaway, une stratégie folle ?

C’est officiel, Warren Buffett a poursuivi l’allègement du portefeuille d’actions détenu par son conglomérat, Berkshire Hathaway ! Ces derniers trimestres, l’Oracle d’Omaha a accumulé plus de cents milliards $ de liquidités. Portant, ainsi, le total de celles-ci à 325 milliards $ !

Vous avez bien lu… Warren Buffett est désormais assis sur une montagne de 325 milliards $ de cash !

Mais pour quoi faire ? Qu’est-ce que cela présage pour l’avenir ? Pourquoi maintenant ? Autant de questions auxquelles je vais tenter d’apporter des éléments de réponse dans une analyse très personnelle…

Un Investisseur autant scruté qu’adulé !

Warren Buffett est une véritable légende vivante. Pour certains investisseurs, je pense qu’il n’est pas exagéré de dire qu’il s’agit même d’un “phare sur Terre”. Bref… une icône, une idole, que dis-je… un Prophète de l’Investissement. Autant le dire tout de suite, je ne suis pas de ceux-là !

Bien sûr, j’ai un immense respect, tant pour l’Homme que pour ses réalisations, mais aussi pour son parcours hors du commun. Pour autant, je me refuse à le “vénérer”. Respect, n’est pas synonyme d’adoration.

Cela n’empêche pas, à juste titre au regard de son histoire, que ses moindres faits et gestes soient scrutés et analysés par une horde d’investisseurs du monde entier.

Un krach à venir ?

Aussi, pour nombre de ces investisseurs, les récentes ventes opérées par “WB” pourraient se révéler être des signaux forts d’un risque de chute des marchés. Marchés, américains, qui sont justement particulièrement bien valorisés en ce moment.

Bien que cohérente dans l’absolue, cette explication ne me convainc guère. L’une des principales raisons étant que WB, lui-même, dit à qui veut bien l’entendre qu’il ne “time pas les marchés”. Autrement dit, il ne cherche à prévoir ni les points hauts ni les points bas. Sa stratégie étant plutôt orientée vers les investissements dans les sociétés “extra-ordinaires à prix ordinaires”.

L’explication selon laquelle les ventes seraient le signe que WB anticipe un krach des marchés ne me semble donc pas pertinente.

Des sociétés trop bien valorisées ?

Une autre explication tout à fait entendable serait que ces ventes sont on ne plus naturelles, si on envisage que les valorisations de Apple (1) et Bank of America (2) sont devenues excessives.

Un point de vue que ne sembleraient pas partager les multiples analystes qui suivent ces dossiers, au regard du fort concensus qui se dégage pour ces deux valeurs. Certes, ces analystes ne sont pas WB. J’ose tout de même espérer qu’ils ne sont pas tous dans l’erreur…

De nouvelles opportunités nécessitant de fortes quantités de cash ?

WB est particulièrement conservateur dans ses investissements. Il ne se positionne que sur ce qu’il comprend et ne joue en aucun cas “au loto”, que ce soit avec son argent personnel ou avec celui se trouvant dans Berkshire Hathaway.

Aussi, au regard de ses réactions plutôt molles sur les marchés lorsque de nombreuses occasions se sont présentées lors de krach Covid, je ne pense pas que sa façon d’agir aujourd’hui soit réellement liée à un besoin de liquidités pour financer une opération qui serait, alors, tout bonnement pharaonique. Car précisons qu’avec tout le cash dont il dispose, il pourrait se payer… cash, c’est le cas de le dire, des sociétés telles que Netflix, LVMH ou encore Exxon Mobil !

J’entends de petites voix qui me disent, à raison, que WB laisse de plus la main à Greg Abel (son successeur désigné) sur les investissements de Berkshire Hathaway. C’est vrai. Cela pourrait, en quelque sorte, insuffler un vent de fraîcheur dans la politique d’investissement du groupe. Laquelle pourrait alors devenir plus agressive, voir plus spéculative, qu’elle ne l’est dans la réalité.

Franchement et en toute honnêteté… je ne crois absolument pas à ceci. Simplement car je ne peux imaginer que WB, vivant, laisserait faire de telles choses à son “bébé”, Berkshire Hathaway. Des opérations aussi importantes que celles menées ces derniers mois ne peuvent avoir été réalisées qu’avec l’aval financier et moral du grand patron. D’autant plus que les actionnaires eux-mêmes, dont WB est plutôt proche, ne laisseraient certainement pas passer une telle révolution dans la gestion du groupe.

Mais alors, pourquoi agir de la sorte ?!

Il parraît difficilement concevable de penser que WB n’ait pour seul but de devenir “le plus riche du cimetière”. Surtout qu’il le sera quoi qu’il arrive ! Donc aucun intérêt de vendre dans ce seul et unique but. But qui serait d’ailleurs, avouons-le, complètement idiot.

La réponse à ce “pourquoi ?” pourrait peut-être se trouver dans ce que fait WB de ces liquidités retirées des marchés actions. Et ceci n’est pas un secret ! Il est de notoriété publique que WB les place sur des bonds du trésor américain. Autrement dit, il achète de la dette américaine. Une dette qui semble ne présenter que peu de risques :

✔️ D’une part, la “signature” des États-Unis permet à la dette américaine d’être considérée comme l’une des plus sûres au monde. Certes, la situation économique et budgétaire n’est pas forcément des plus reluisantes. Néanmoins, il s’agit de la première économie mondiale, laquelle a su faire de sa devise la pièce maîtresse de sa politique. Sans oublier non plus la puissance diplomatique et militaire du pays. Comme le répète régulièrement WB lui-même, il ne faut jamais parier contre l’Amérique.
✔️ D’autre part, le rendement offert par ces bonds du trésor reste très attractif au regard des risques supposés. Il permet à l’homme d’affaire de générer, en périodicité annuelle, plusieurs milliards $. Pourquoi se priverait-il d’une telle rentrée d’argent ?

Mais là encore, ces réponses ne me satisfont pas totalement. Elles sont bien trop simplistes, et surtout beaucoup trop conservatrices. Y compris pour WB. Alors oui, j’ai évoqué précédemment le fait qu’il soit “conservateur dans ses investissements”. C’est un fait… Ce n’est pas lui qui va aller racheter la dernière biotech à la mode, ou même mettre plusieurs milliards $ dans l’IA ou le Métaverse. Tout ceci, il le laisse à d’autres. Cependant, entre ceci et le fait d’acheter des masses de bonds du trésor, il y a un fossé énorme en terme de “conservatisme”.

Tiens, d’ailleurs, j’ai oublié de donner les chiffres histoire de se faire une petite idée de ce que cela représente :

🚨 Dette américaine émise : 35.000 milliards $
🇨🇳 Dette américaine détenue par la Chine (aujourd’hui) : environ 800 milliards $
🎯 Dette américaine détenue par Warren Buffett (aujourd’hui) : 288 milliards $
🏦 Dette américaine détenue par la FED (Banque Centrale US) : 195 milliards $

On voit donc bien que WB, via Berkshire Hathaway, détient plus de dette américaine que la Banque Centrale du pays ! On comprend également que la dette détenue par ce seul homme équivaut à environ 0,80% de l’ensemble de la dette émise. Ce qui est colossal ! D’autant plus quand on prend en compte le fait que la Chine n’en possède, après des ventes importantes ces dernières années, plus qu’environ 2,3%.

La Chine, dont le PIB s’élève approximativement à 16.800 milliards $, alors même que la capitalisation boursière de Berkshire Hathaway est de l’ordre de 980 milliards !

Bien sûr, ces deux derniers montants ne peuvent pas être comparés entre eux… Une histoire de choux et de carottes paraît-il ! Cependant, leur évocation permet de se rendre compte de l’importance du poids de la dette américaine détenue à la fois par la Chine et par WB.

Que fait donc WB avec la dette US ?

Déjà, comme évoqué précédemment, il encaisse des milliards $ de coupons chaque année. D’un point de vue financier cela se tient… c’est rentable. Mais, comme évoqué précédemment également, cela ne correspondant guère à la philosophie d’investissement historique du personnage. Ni même, d’ailleurs, à celle que recherchent les investisseurs dans Berkshire. C’est beaucoup trop “prudent” pour tenir dans le temps.

Car si rien n’est fait de cet argent d’ici quelques mois ou années, je ne serais alors pas étonné que des voix commencent à s’élever au sein de l’actionnariat groupe. Ne serait-ce que pour demander à ce qu’il en soit fait quelque chose. Soit via des investissements importants, soit via des retours aux actionnaires (dividendes ou rachats d’actions massifs).

À mon sens, dans le cas où les positions de WB en matière de détention de dette US ne diminueraient pas significativement d’ici à quelques trimestres (et à fortiori encore plus si ces positions venaient encore à augmenter), cela pourrait signifier la chose suivante :

🔎 Cela peut sembler un peu tiré par les cheveux, mais je considère comme non négligeable la probabilité selon laquelle l’accroissement énorme des stocks de bons du trésor détenus par WB, n’ait comme finalité principale le soutient à l’économie US !

Tu reprendra bien un petit verre…

Non merci, l’alcool, très peu pour moi.

Plus sérieusement, je suis d’avis que la situation budgétaire US commence à devenir problématique. Pas “catastrophique” mais juste “problématique” ! Ceci tenant à deux éléments majeurs que sont, d’une part, l’accroissement constant de la dette du pays, et, d’autre part, le désengagement progressif de cette même dette, opéré depuis quelques années par la Chine (couplé au développement des BRICS).

À ce titre, il est intéressant de constater qu’entre 2016 et 2022, la dette publique US a augmenté de 11.400 milliards $ (+57%), mais que dans le même temps, la quantité détenue par des pays étrangers n’a même pas cru de 10%. Signe que cette dette est majoritairement achetée “localement”. Ce qui est un élément plutôt positif, dans le sens où c’est une dette qui ne pourra pas servir “d’outil de pression diplomatique” contre les US.

Il n’en reste pas moins qu’il demeure vital, pour les États-Unis, de contrôler au maximum la façon dont leur dette publique est détenue. La situation géopolitique actuelle étant ce qu’elle est, il est nécessaire de réduire au maximum les impacts potentiels du désengagement chinois de la dette US (hausse des taux, inflation, dévaluation du $, etc.). Il fait donc parfaitement sens qu’une part de plus en plus importante soit détenue domestiquement.

Sans oublier le poids croissants des BRICS, qui, bien que très hétérogènes dans leurs convictions et dans leurs façons de penser, présentent un danger potentiel pour les États-Unis et le Dollar. Je parle de “risque potentiel” car à l’heure actuelle, la menace ne s’est pas encore véritablement présentée. Mais la logique veut qu’il soit plus simple (et beaucoup moins coûteux) d’être “pro-actif” plutôt que “réactif”.

Cela pourrait donc expliquer les prises de position de WB. Le rendement annuel est une chose importante, mais maintenir à flot l’économie nationale (américaine) l’est encore bien plus. Que ce soit par pur patriotisme ou bien avec une visée plus mercantile. Bien que ces deux éléments puissent parfaitement se conjuguer en un seul.

Une situation potentiellement problématique
Si l’idée de fond, qui serait de soutenir l’économie de son pays (dans laquelle une grande partie des investissements de WB est réalisée) peut sembler louable et cohérente, il est à noter que de nombreux risques peuvent également résulter de telles actions :

🔴 Mécontentement de l’actionnariat non US, dans le cas où le soutient à l’économie prendrait le pas sur l’investissement pur (bien qu’une crise majeure US aurait très certainement d’énormes répercutions mondiales)
🔴 Potentielles difficultés pour WB de sortir de ses positions en bonds du trésor le jour où il souhaiterait investir, de nouveau massivement, sur les marchés actions. Car on ne vend pas 0,8% de la dette US sans que cela n’ait d’impact sur le marché obligataire et sans que cela n’occasionne des “dommages collatéraux”.

Quelques éléments laissant penser que cette théorie n’est pas si farfelue qu’elle n’y paraît

✔️ L’accroissement (presque insensé) de la quantité de bonds de trésors détenus par WB ET domestiquement, alors que l’hégémonie US commence à être discutée.
✔️ “”Soyez craintif quand les autres sont avides. Soyez avide quand les autres sont craintifs.” : La frilosité extrême, lors de la crise Covid, alors même que la panique était générale sur les marchés. Ce qui me laisse à penser que WB n’agit pas, lorsqu’il vend massivement du Apple ou du BoA, aujourd’hui, sous l’effet de la crainte.
✔️ Le patriotisme de WB, qui fait qu’il ne pourrait probablement pas laisser le pays s’enfoncer sans faire ce qui est à sa portée pour le soutenir. D’autant plus si cela cela soutient également ses affaires.
✔️ L’importance pour les US d’accroître la part de leur dette détenue domestiquement. Rien n’est plus “vendeur” que l’exemple donné par l’un des hommes les plus riches du monde, par ailleurs véritable icône dans son pays.

Quelques éléments qui confirmeront (ou annihileront) cette théorie

Évidemment, tout ceci est pour le moment au stade de la théorie. J’aurais alors l’air bien fin si, demain, WB annonçait allouer 300 milliards $ de ses (quasi) liquidités au rachat de LVMH, ou à celui du “combo” TotalEnergies / Schneider Electric…

À noter qu’un investissement “mineur” de quelques milliards $ ne remettrait pas en cause ma théorie. Dans le sens où la quantité de bonds du trésors détenus par WB demeurerait phénoménale.

En attendant, certains éléments futurs pourraient donner un peu plus de poids à ma théorie. Parmi lesquels :
✔️ L’absence d’investissements majeurs à l’occasion d’une future crise majeure, sans qu’une véritable politique de retours aux actionnaires ne soit mise en place en parallèle.
✔️ La poursuite de l’accroissement de la quantité de bonds du trésor détenue.

Lorsque WB viendra à décéder ?

Personne n’est, physiquement, éternel. Si WB restera très longtemps dans les mémoires collectives, il finira par quitter cette Terre. Le plus tard possible, cela va de soit !

Il n’en reste pas moins que lorsqu’elle surviendra, sa disparition fera l’objet d’un nombre incalculable de commentaires. Aujourd’hui âgé de 93 ans, celle-ci ne doit pas, pour autant, être un sujet tabou. Lui-même parle d’ailleurs de ce que sa femme devra faire lorsqu’il ne sera plus là…

Pour en revenir à Berkshire Hathaway, je suis d’avis que le jour où WB ne sera plus, il n’y aura pas d’impact réel sur la gouvernance de la société. Cela fait fort longtemps qu’il a anticipé sa propre succession, et qu’il a pris soin de s’assurer que tout ce qu’il a construit lui survivra. Agir de la sorte est un signal fort d’une politique qui ira au-delà du seul “Patriarche” !

Dans la gestion de Berkshire Hathaway (et uniquement à ce niveau là), la disparation de Warren Buffett devrait donc être de l’ordre du “non évènement”.

Le passage qui ne va pas plaire à beaucoup

Je terminerai cette longue analyse sur Warren Buffett et de sa “stratégie de liquidités” en m’attirant (un peu plus ?) les foudres de ses plus fervants défenseurs ! Pour cela, je vais reprendre à mon compte l’une de ses plus célèbres citations :

C’est lorsque la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nusWarren Buffett

À mon sens, celle-ci s’applique parfaitement à WB et à Berkshire Hathaway. Tout simplement au regard de l’exposition massive (et presque exclusive) à l’économie américaine (84% de l’activité du groupe). Si une telle exposition peut parfaitement s’entendre, il n’en demeure pas moins qu’elle représente un risque évident dans le cas d’une crise majeure qui entraînerait un bouleversement géopolitique.

Un bouleversement potentiel qui pourrait alors expliquer dans les grandes largeurs certaines décisions d’investissements passées, prises alors même que l’hégémonie américaine était ouvertement remise en cause. Mais ceci, seul l’avenir nous le dira !

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